Entretien avec Simona Denicolai et Ivo Provoost
by Francesca Comisso et Lisa Parola, association a. titolo
by Francesca Comisso et Lisa Parola, association a. titolo
(En 2006, on s'est focalisé plutôt sur l’espace des « clairières habitées ». L’habitat regroupé en hameaux et villages implantés à mi-pente, témoigne de l’occupation permanente de l’espace depuis plusieurs siècles. Si autrefois l’habitation occasionnelle était liée à l’activité agricole, elle est aujourd’hui due à l’activité touristique. Ces nouvelles pratiques peuvent susciter des conflits avec les zones d’habitat permanent et poser des problèmes d’intégration au paysage. Ces populations temporaires ont parfois une attitude consumériste qui ne favorise pas leur implication dans le développement du territoire).
F. C.&L. P. À la question sur les effets de développement de l’habitat occasionnel, et notamment sur les conflits possibles liés à la gestion et au respect du territoire qui peuvent en découler, vous avez répondu par une autre question « À qui appartient le paysage ? » et vous avez réfléchi à la notion de « copropriété temporaire » définie à partir d’un objet-sculpture, l’armoire. Une question qui s’applique autant à la contemplation éphémère du paysage qu’aux formes complexes et stratifiées d’y résider. Existait-il déjà des expériences, des modes d’utilisation de l’espace, des dynamiques entre habitants et touristes à partir desquels envisager des pratiques « vertueuses » ou votre projet s’est-il proposé comme un questionnement capable de créer des formes inédites d’appropriation du paysage ?
S. D.&I. P. Ce que l’on ne voit pas quand on regarde le paysage en friche des monts d’Ardèche dans la vallée de la Drobie, c’est sa réalité cadastrale. C’est un patchwork de propriétés privées dont on ne distingue plus les frontières, car la terre n’est plus entretenue. Seuls les anciens ont encore en tête le plan cadastral.
Pour répondre à la question de l’habitat nous avons voulu éviter la notion d’architecture. Pour la simple raison qu’habiter ne signifie pas seulement dormir entre quatre murs. Il y a déjà beaucoup de propositions dans ce sens-là : de l’architecture traditionnelle en lauzes au camping, en passant par les gîtes pour un tourisme vert, jusqu’à l’atelier-refuge de l’association Sur le sentier des Lauzes. Toutes ces solutions passent par la possession d’un bout de montagne.
Nous avons voulu créer un protocole permettant aux habitants permanents et aux visiteurs occasionnels d’obtenir un même statut vis-à-vis d’une nouvelle situation. Ils deviennent copropriétaires de l’intérieur de l’armoire. Il suffit d’en acheter la clef au café Au Bon Port à Saint-Mélany. L’armoire est un objet que l’on installe d’habitude au sein d’une architecture. Ici l’architecture est le paysage visible. Le ciel est le plafond, l’horizon un mur, les arbres des portes, la terre le sol. On possède le paysage par l’expérience.
C’est comme se rendre, par exemple, à un concert de Luke Vibert, on en devient propriétaire individuellement et en même temps collectivement. On ne devient, certes, pas propriétaire de la personne de Luke Vibert ou de ses droits d’auteur, mais de l’expérience personnelle de son concert. Personne ne peut nous enlever ce bien. C’est pour cela que nous avons choisi comme titre Revolution is not a pique-nique.
F. C.&L. P. C’est un titre très assertif bien que paradoxal, qui oriente et formule clairement l’idée de l’expérience non seulement d’un point de vue de la conscience mais aussi de la responsabilité. Si la valeur « révolutionnaire » de l’expérience ne rentre pas dans la logique du pique-nique, la propriété, telle qu’elle se décline à travers votre projet coïncide avec les différentes formes d’engagement que les personnes, habitants et non, développent à travers leur rapport à l’armoire. Comment le projet a-t-il fonctionné durant ces derniers mois ?
Pouvez-vous déjà identifier autour de cet objet, les formes de « plus-value » que les habitants occasionnels ont apportées aux résidents de la vallée ?
S. D.&I. P. Il ne faut pas chercher de justifications sociales et sociologiques dans ce projet, mais des raisons artistiques. La « plus-value » (dont il est également question au sujet de Residenz), c’est la vie qui s’installe autour de cet objet. Nous installons un objet sculptural qui, via le protocole que nous lui attribuons, devient une sculpture qui parle et qui respire. C’est cela la «plus-value», et non pas, en soi, les objets que les gens y laissent ou les actions qu’ils réalisent autour. Nous ne disons pas aux copropriétaires ce qu’ils doivent faire de cet objet ou du lieu qui l’accueille. Le rapport de chacun à l’armoire est subjectif et personnel. Pour certains il sera plus contemplatif, et pour d’autres plus actif. Il n’y a pas de règles à respecter. Aucune attitude n’est meilleure qu’une autre. Il s’agit d’une possibilité mise à disposition. Notre intervention se limite à la formulation du protocole, son application relève déjà de l’interprétation d’un travail artistique.
F. C.&L. P. En même temps, vous avez, à partir du mode d’emploi de l’armoire, institué un rituel. Et ce, dès la phase de réalisation, en impliquant les membres de l’association, mais tout particulièrement dans les processus d’accès à l’armoire qui reposent sur l’acquisition d’une clef. Quelle valeur porte pour vous ce rituel, éminemment personnel mais qui induit la question de la responsabilité partagée, dans une perspective d’appropriation temporaire de l’espace et des pratiques qui en découlent ?
S. D.&I. P. Une clef donne accès à quelque chose qui resterait hermétique autrement. En anglais « key » veut aussi dire : la légende d’une image. Pour réaliser ce travail nous avons collaboré avec beaucoup de personnes différentes. En quelque sorte nous leur avons transmis la légende et c’est eux qui ont fabriqué l’image. C’est comme ça que le projet s’est greffé dans l’imagination des gens sur place, avant d’exister dans le paysage réel.
Pour l’armoire par exemple, nous n’avons pas montré de croquis à l’ébéniste, Richard Vansteenberghe, mais nous lui avons parlé du rôle de cet objet. C’est lui qui l’a dessiné et réalisé ensuite. La même chose avec Bert Nienhuis, le peintre du village, à qui nous avons demandé de peindre le plafond du projet, c’est-à-dire le ciel. La peinture devait servir de panneau / porte-clefs derrière le comptoir du café. Plus l’on voit le ciel apparaître dans le café, plus il y a de copropriétaires en circulation. L’escalier à l’entrée du terrain et le caladium qui fait office de signalétique en traversant le sentier des Lauzes, sont réalisés en pierre sèche par Yves Cabourg avec l’assistance de Christophe Blondeau, reprenant ainsi la technique utilisée par les anciens pour construire les terrasses et qui a rendu cette terre cultivable. En quantité de travail, chaque montagne représente une pyramide ! Une fois que l’entrée était finie, c’était comme si elle était là depuis 300 ans.
Pour ce qui est du chemin qui, de l’entrée, mène à l’armoire située en contrebas, nous l’avons ouvert ensemble avec Yves, Christophe et d’autres membres de l’association. Nous avons ainsi appris qu’ouvrir un chemin dans la montagne ne signifie pas seulement relier le point A au point B. Un bon chemin doit faire perdre de vue la destination B : c’est une succession de destinations par différents points de vues sur le paysage environnant, tout en gardant sa fonctionnalité. Le point B reste le hidden agenda d’un chemin ambitieux. Et hop, on arrive à l’armoire par derrière.
F. C.&L. P. Étant donné la durée temporaire définie pour ce projet, avez-vous déjà pensé à un
« legs » du « patrimoine » matériel et immatériel qui s’est constitué sur le territoire ?
S. D.&I. P. Mis à part notre statut d’auteurs de l’ensemble de ce travail artistique, notre rapport à l’armoire est maintenant le même que celui de tous les autres copropriétaires. Nous ne sommes donc pas seuls à décider. La durée de Revolution is not a pique-nique est pour le moment fixée à trois ans, mais il est tout à fait possible que cela change au cours d’une réunion des copropriétaires. La première aura lieu le 16 août 2008. La propriétaire du terrain, Irma Dewilde, qui est aussi copropriétaire de l’intérieur de l’armoire, a bien sûr son mot à dire. La résistance de l’objet doit être également prise en compte. La réalisation de l’armoire a été déterminée par son exposition à ciel ouvert mais, si on souhaite qu’elle dure, il faut l’entretenir. C’est aussi à ce niveau que les copropriétaires vont jouer un rôle. Mais si le projet dure moins de trois ans suite à une dégradation trop rapide de l’armoire, ou pour une autre raison, ce sera sa particularité, une singularité déterminée par tous les acteurs en jeu.
F. C.&L. P. Comment êtes-vous parvenus au choix de situer la sculpture/armoire sur un terrain mis à disposition de façon temporaire par un propriétaire privé ? Ce choix répond à quel type de logique : panoramique, narrative, d’accessibilité, de requalification, d’interversion symbolique entre public / privé ?
Comment l’objet interagit-il avec l’environnement et plus précisément avec l’ensemble du territoire et ses principaux acteurs locaux ?
S. D.&I. P. Pour trouver l’armoire il faut quitter le sentier balisé. On doit faire un choix personnel sans être sûr à cent pour cent d’avoir le droit de descendre par là. Comme il n’y a pas de signalétique précise, même avec le plan, le doute subsiste. Nous avons voulu « percer le paysage » et sortir du programme « marcher sur les sentiers, manger du sanglier au restaurant, faire dodo au gîte ». Ce programme maintient le visiteur dans une sorte de tube en verre.
Par contre, en pilote automatique, on ne peut pas arriver à l’armoire. C’est la raison principale pour laquelle l’armoire n’est pas placée le long d’un sentier IGN. Avec les membres de l’association nous avons cherché un terrain caché, que les habitants permanents ne s’étaient pas encore approprié pour des usages occasionnels. Le fait qu’il s’agisse d’un terrain privé est une donnée inévitable. En dehors des sentiers, il n’y a pas d’espace public dans la montagne.
F.C.&L.P. Dans le cadre d’autres de vos projets, vous avez travaillé de manière analogue sur la question de la propriété. Par exemple, Residenz que vous avez cité ci-dessus mettait également en scène une sculpture publique en relation avec un paysage, et dont l’intérieur devenait en même temps un lieu de résidence « privé » dont vous comptiez vous réserver l’usage. C’est comme si vous aviez développé à l’extrême la notion d’auteur, synthétisant en elle-même commande, création artistique et propriété. Puisque vous vous définissez comme des « intermédiaires-interprétes », quelle forme de notion d’auteur, de paternité artistique avez-vous développée à travers le projet de « Revolution is not a pique-nique / Copropriété temporaire » ?
S. D. & I. P. Dans le cas de Residenz il s’agit d’une sculpture publique dans un espace public proposé par des artistes. Il n’y avait pas, au préalable, une commande de la part de l’une ou l’autre instance publique. Cette inversion de rôle par rapport à la politique de l’art public en France est un des principaux propos de Residenz. Nous avons utilisé la figure du chantage affectif : I love Pougues-les-Eaux and Pougues-les-Eaux (must) love me avec en option la question: « à qui appartient l’intérieur d’une oeuvre d’art ? »
Le projet dans la vallée de la Drobie est très différent. Là il y avait une vraie commande et une demande précise par rapport à l’habitat, qui nous a été posée sous forme de question.
Nous avons vite compris qu’il nous était impossible d’apporter une réponse à cette question, d’autant plus qu’il n’existe jamais qu’une seule réponse. En tant qu’intermédiaires-interprètes nous avons voulu donner forme à la question même, directement dans le paysage, avec en option la question : « À qui appartient le paysage ? » Les attitudes des différents copropriétaires vis-à-vis de cette situation constituent autant de réponses possibles et équivalentes. « À Dieu, à celui qui le regarde, aux propriétaires, à moi. »
F. C.&L. P. En conclusion de cette conversation, nous souhaitons souligner à l’instar de Revolution is not a pique-nique, votre capacité d’activer un dispositif capable de soustraire le paysage à la logique du patrimoine et à ses risques de muséification, aussi bien qu’à celle d’exploitation de l’industrie touristique.
Le concept de propriété autour duquel tourne le projet peut en quelque sorte rejoindre celle de commons, une définition issue d’une critique radicale de la propriété des idées dans un environnement immatériel et culturel. Les commons sont un bien détenu en commun, pour lequel la communauté de référence – forte de sa pluralité de visions, de temps et de moyens – doit cependant identifier des règles et négocier des modalités afin d’en permettre effectivement l’emploi collectif. À ce propos, il nous semble intéressant de souligner un élément proche de votre projet : lorsque l’usage d’un bien ne possède pas de fin immédiatement définie, il est alors préférable de le considérer comme un bien collectif de sorte qu’il soit exposé à l’expérimentation du plus grand nombre.
F. C.&L. P. À la question sur les effets de développement de l’habitat occasionnel, et notamment sur les conflits possibles liés à la gestion et au respect du territoire qui peuvent en découler, vous avez répondu par une autre question « À qui appartient le paysage ? » et vous avez réfléchi à la notion de « copropriété temporaire » définie à partir d’un objet-sculpture, l’armoire. Une question qui s’applique autant à la contemplation éphémère du paysage qu’aux formes complexes et stratifiées d’y résider. Existait-il déjà des expériences, des modes d’utilisation de l’espace, des dynamiques entre habitants et touristes à partir desquels envisager des pratiques « vertueuses » ou votre projet s’est-il proposé comme un questionnement capable de créer des formes inédites d’appropriation du paysage ?
S. D.&I. P. Ce que l’on ne voit pas quand on regarde le paysage en friche des monts d’Ardèche dans la vallée de la Drobie, c’est sa réalité cadastrale. C’est un patchwork de propriétés privées dont on ne distingue plus les frontières, car la terre n’est plus entretenue. Seuls les anciens ont encore en tête le plan cadastral.
Pour répondre à la question de l’habitat nous avons voulu éviter la notion d’architecture. Pour la simple raison qu’habiter ne signifie pas seulement dormir entre quatre murs. Il y a déjà beaucoup de propositions dans ce sens-là : de l’architecture traditionnelle en lauzes au camping, en passant par les gîtes pour un tourisme vert, jusqu’à l’atelier-refuge de l’association Sur le sentier des Lauzes. Toutes ces solutions passent par la possession d’un bout de montagne.
Nous avons voulu créer un protocole permettant aux habitants permanents et aux visiteurs occasionnels d’obtenir un même statut vis-à-vis d’une nouvelle situation. Ils deviennent copropriétaires de l’intérieur de l’armoire. Il suffit d’en acheter la clef au café Au Bon Port à Saint-Mélany. L’armoire est un objet que l’on installe d’habitude au sein d’une architecture. Ici l’architecture est le paysage visible. Le ciel est le plafond, l’horizon un mur, les arbres des portes, la terre le sol. On possède le paysage par l’expérience.
C’est comme se rendre, par exemple, à un concert de Luke Vibert, on en devient propriétaire individuellement et en même temps collectivement. On ne devient, certes, pas propriétaire de la personne de Luke Vibert ou de ses droits d’auteur, mais de l’expérience personnelle de son concert. Personne ne peut nous enlever ce bien. C’est pour cela que nous avons choisi comme titre Revolution is not a pique-nique.
F. C.&L. P. C’est un titre très assertif bien que paradoxal, qui oriente et formule clairement l’idée de l’expérience non seulement d’un point de vue de la conscience mais aussi de la responsabilité. Si la valeur « révolutionnaire » de l’expérience ne rentre pas dans la logique du pique-nique, la propriété, telle qu’elle se décline à travers votre projet coïncide avec les différentes formes d’engagement que les personnes, habitants et non, développent à travers leur rapport à l’armoire. Comment le projet a-t-il fonctionné durant ces derniers mois ?
Pouvez-vous déjà identifier autour de cet objet, les formes de « plus-value » que les habitants occasionnels ont apportées aux résidents de la vallée ?
S. D.&I. P. Il ne faut pas chercher de justifications sociales et sociologiques dans ce projet, mais des raisons artistiques. La « plus-value » (dont il est également question au sujet de Residenz), c’est la vie qui s’installe autour de cet objet. Nous installons un objet sculptural qui, via le protocole que nous lui attribuons, devient une sculpture qui parle et qui respire. C’est cela la «plus-value», et non pas, en soi, les objets que les gens y laissent ou les actions qu’ils réalisent autour. Nous ne disons pas aux copropriétaires ce qu’ils doivent faire de cet objet ou du lieu qui l’accueille. Le rapport de chacun à l’armoire est subjectif et personnel. Pour certains il sera plus contemplatif, et pour d’autres plus actif. Il n’y a pas de règles à respecter. Aucune attitude n’est meilleure qu’une autre. Il s’agit d’une possibilité mise à disposition. Notre intervention se limite à la formulation du protocole, son application relève déjà de l’interprétation d’un travail artistique.
F. C.&L. P. En même temps, vous avez, à partir du mode d’emploi de l’armoire, institué un rituel. Et ce, dès la phase de réalisation, en impliquant les membres de l’association, mais tout particulièrement dans les processus d’accès à l’armoire qui reposent sur l’acquisition d’une clef. Quelle valeur porte pour vous ce rituel, éminemment personnel mais qui induit la question de la responsabilité partagée, dans une perspective d’appropriation temporaire de l’espace et des pratiques qui en découlent ?
S. D.&I. P. Une clef donne accès à quelque chose qui resterait hermétique autrement. En anglais « key » veut aussi dire : la légende d’une image. Pour réaliser ce travail nous avons collaboré avec beaucoup de personnes différentes. En quelque sorte nous leur avons transmis la légende et c’est eux qui ont fabriqué l’image. C’est comme ça que le projet s’est greffé dans l’imagination des gens sur place, avant d’exister dans le paysage réel.
Pour l’armoire par exemple, nous n’avons pas montré de croquis à l’ébéniste, Richard Vansteenberghe, mais nous lui avons parlé du rôle de cet objet. C’est lui qui l’a dessiné et réalisé ensuite. La même chose avec Bert Nienhuis, le peintre du village, à qui nous avons demandé de peindre le plafond du projet, c’est-à-dire le ciel. La peinture devait servir de panneau / porte-clefs derrière le comptoir du café. Plus l’on voit le ciel apparaître dans le café, plus il y a de copropriétaires en circulation. L’escalier à l’entrée du terrain et le caladium qui fait office de signalétique en traversant le sentier des Lauzes, sont réalisés en pierre sèche par Yves Cabourg avec l’assistance de Christophe Blondeau, reprenant ainsi la technique utilisée par les anciens pour construire les terrasses et qui a rendu cette terre cultivable. En quantité de travail, chaque montagne représente une pyramide ! Une fois que l’entrée était finie, c’était comme si elle était là depuis 300 ans.
Pour ce qui est du chemin qui, de l’entrée, mène à l’armoire située en contrebas, nous l’avons ouvert ensemble avec Yves, Christophe et d’autres membres de l’association. Nous avons ainsi appris qu’ouvrir un chemin dans la montagne ne signifie pas seulement relier le point A au point B. Un bon chemin doit faire perdre de vue la destination B : c’est une succession de destinations par différents points de vues sur le paysage environnant, tout en gardant sa fonctionnalité. Le point B reste le hidden agenda d’un chemin ambitieux. Et hop, on arrive à l’armoire par derrière.
F. C.&L. P. Étant donné la durée temporaire définie pour ce projet, avez-vous déjà pensé à un
« legs » du « patrimoine » matériel et immatériel qui s’est constitué sur le territoire ?
S. D.&I. P. Mis à part notre statut d’auteurs de l’ensemble de ce travail artistique, notre rapport à l’armoire est maintenant le même que celui de tous les autres copropriétaires. Nous ne sommes donc pas seuls à décider. La durée de Revolution is not a pique-nique est pour le moment fixée à trois ans, mais il est tout à fait possible que cela change au cours d’une réunion des copropriétaires. La première aura lieu le 16 août 2008. La propriétaire du terrain, Irma Dewilde, qui est aussi copropriétaire de l’intérieur de l’armoire, a bien sûr son mot à dire. La résistance de l’objet doit être également prise en compte. La réalisation de l’armoire a été déterminée par son exposition à ciel ouvert mais, si on souhaite qu’elle dure, il faut l’entretenir. C’est aussi à ce niveau que les copropriétaires vont jouer un rôle. Mais si le projet dure moins de trois ans suite à une dégradation trop rapide de l’armoire, ou pour une autre raison, ce sera sa particularité, une singularité déterminée par tous les acteurs en jeu.
F. C.&L. P. Comment êtes-vous parvenus au choix de situer la sculpture/armoire sur un terrain mis à disposition de façon temporaire par un propriétaire privé ? Ce choix répond à quel type de logique : panoramique, narrative, d’accessibilité, de requalification, d’interversion symbolique entre public / privé ?
Comment l’objet interagit-il avec l’environnement et plus précisément avec l’ensemble du territoire et ses principaux acteurs locaux ?
S. D.&I. P. Pour trouver l’armoire il faut quitter le sentier balisé. On doit faire un choix personnel sans être sûr à cent pour cent d’avoir le droit de descendre par là. Comme il n’y a pas de signalétique précise, même avec le plan, le doute subsiste. Nous avons voulu « percer le paysage » et sortir du programme « marcher sur les sentiers, manger du sanglier au restaurant, faire dodo au gîte ». Ce programme maintient le visiteur dans une sorte de tube en verre.
Par contre, en pilote automatique, on ne peut pas arriver à l’armoire. C’est la raison principale pour laquelle l’armoire n’est pas placée le long d’un sentier IGN. Avec les membres de l’association nous avons cherché un terrain caché, que les habitants permanents ne s’étaient pas encore approprié pour des usages occasionnels. Le fait qu’il s’agisse d’un terrain privé est une donnée inévitable. En dehors des sentiers, il n’y a pas d’espace public dans la montagne.
F.C.&L.P. Dans le cadre d’autres de vos projets, vous avez travaillé de manière analogue sur la question de la propriété. Par exemple, Residenz que vous avez cité ci-dessus mettait également en scène une sculpture publique en relation avec un paysage, et dont l’intérieur devenait en même temps un lieu de résidence « privé » dont vous comptiez vous réserver l’usage. C’est comme si vous aviez développé à l’extrême la notion d’auteur, synthétisant en elle-même commande, création artistique et propriété. Puisque vous vous définissez comme des « intermédiaires-interprétes », quelle forme de notion d’auteur, de paternité artistique avez-vous développée à travers le projet de « Revolution is not a pique-nique / Copropriété temporaire » ?
S. D. & I. P. Dans le cas de Residenz il s’agit d’une sculpture publique dans un espace public proposé par des artistes. Il n’y avait pas, au préalable, une commande de la part de l’une ou l’autre instance publique. Cette inversion de rôle par rapport à la politique de l’art public en France est un des principaux propos de Residenz. Nous avons utilisé la figure du chantage affectif : I love Pougues-les-Eaux and Pougues-les-Eaux (must) love me avec en option la question: « à qui appartient l’intérieur d’une oeuvre d’art ? »
Le projet dans la vallée de la Drobie est très différent. Là il y avait une vraie commande et une demande précise par rapport à l’habitat, qui nous a été posée sous forme de question.
Nous avons vite compris qu’il nous était impossible d’apporter une réponse à cette question, d’autant plus qu’il n’existe jamais qu’une seule réponse. En tant qu’intermédiaires-interprètes nous avons voulu donner forme à la question même, directement dans le paysage, avec en option la question : « À qui appartient le paysage ? » Les attitudes des différents copropriétaires vis-à-vis de cette situation constituent autant de réponses possibles et équivalentes. « À Dieu, à celui qui le regarde, aux propriétaires, à moi. »
F. C.&L. P. En conclusion de cette conversation, nous souhaitons souligner à l’instar de Revolution is not a pique-nique, votre capacité d’activer un dispositif capable de soustraire le paysage à la logique du patrimoine et à ses risques de muséification, aussi bien qu’à celle d’exploitation de l’industrie touristique.
Le concept de propriété autour duquel tourne le projet peut en quelque sorte rejoindre celle de commons, une définition issue d’une critique radicale de la propriété des idées dans un environnement immatériel et culturel. Les commons sont un bien détenu en commun, pour lequel la communauté de référence – forte de sa pluralité de visions, de temps et de moyens – doit cependant identifier des règles et négocier des modalités afin d’en permettre effectivement l’emploi collectif. À ce propos, il nous semble intéressant de souligner un élément proche de votre projet : lorsque l’usage d’un bien ne possède pas de fin immédiatement définie, il est alors préférable de le considérer comme un bien collectif de sorte qu’il soit exposé à l’expérimentation du plus grand nombre.